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Management / Formation / RH - Accueil — Le 6 février 2023

Saisir le levier formation pour mieux recruter

La situation est urgente. Les tensions sur le marché de l’emploi sont si fortes que les besoins en recrutement peinent à être satisfaits, et que des métiers connaissent de vraies pénuries de candidats. Quelles sont les réponses à apporter à cet enjeu ? Si les dispositifs de formation représentent l’une des clés, comment en saisir les leviers, repenser la politique d’orientation, renforcer la formation continue ?

© AdobeStock

Plus de 4 500 000. Il ne s’agit pas d’un montant gagné au Loto, mais du nombre de recrutements prévu, tous secteurs confondus, partout en France dans les 12 prochains mois – à la date du 1er octobre 2022 exactement. Une projection annoncée par Adecco-Analytics dans son baromètre de l’emploi publié en septembre dernier.

Parmi les métiers les plus recherchés, ceux de la restauration, la distribution, la logistique, la santé ou encore l’industrie. Soit les pans de l’économie qui peinent le plus à recruter ! Le groupe spécialisé dans le recrutement intérim souligne que 17 métiers sont en tension, notamment dans la restauration et la logistique, avec « des déficits de main-d’œuvre compris entre 125 000 et 150 000 personnes ».

Au moins 360 000 emplois non pourvus

Une donnée qui vient à nouveau confirmer les tensions sur le marché du travail. Dans une publication récente, la Dares indique que « les tensions ont atteint en 2021 leur plus haut niveau depuis 2011 ». « Il s’agit de la problématique numéro un des RH et qui concerne toutes les activités. Et pas seulement la restauration ou la santé », précise Géraldine Sotto-Giroud, directrice de CCI Formation Grenoble.

Si un léger mieux a été enregistré en 2020, en raison de l’arrêt de l’économie, il a été de courte durée depuis la reprise soutenue de 2021, et des changements observés dans la société. Ainsi, 360 000 emplois ont été non pourvus en 2021, précise CCI France. « L’emploi a rebondi depuis la fin de la crise sanitaire : le taux d’emploi et le taux d’activité en France ont atteint des niveaux historiques, tandis que le taux de chômage est au plus bas depuis 2008 […] Cette embellie sur le marché du travail se traduit par un accroissement général des tensions de recrutement, même si tous les secteurs ne sont pas concernés par la même intensité », analysait Michaël Orand, chef de la mission d’analyse économique à la Direction des études et des statistiques, lors d’un séminaire organisé par le ministère de l’Économie en novembre 2022.

Intensité des embauches, manque de main-d’œuvre, inadéquation des compétences, inadéquation géographique, manque d’attractivité des métiers, non-durabilité de l’emploi… sont autant de causes qui alimentent les difficultés de recrutement.

Repenser l’orientation

Cette situation, exacerbée ces derniers mois, n’en demeure pas moins récurrente, par exemple dans les métiers de la santé, de l’industrie, etc. Des experts estiment que plusieurs leviers pourraient être mobilisés afin de combler les besoins : réévaluation des salaires, politiques de RSE, amélioration des conditions de travail…

Mais un autre axe se révèle tout aussi capital, voire prioritaire, compte tenu de la permanence d’un taux de chômage encore élevé en France, et d’un nombre important de jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation. Le levier de la formation, précisément, s’est vu profondément réformé en 2018. Dans une période d’aussi vives tensions, il nécessite encore des actions ambitieuses et structurelles, et une réinvention des politiques. Dès l’orientation des jeunes, d’abord !

En finir avec « l’orientation par défaut » ?

Sans être la cause de tous les maux, l’orientation est souvent pointée du doigt. Pour certains experts, elle ne répondrait pas suffisamment aux souhaits d’un jeune et pousserait au décrochage scolaire ou à une reconvention plus tard. Pour d’autres, le milieu éducatif méconnaît toujours le monde de l’entreprise et les débouchés offerts, ce qui ne permet pas de mener concrètement à des métiers porteurs. Ou encore, la mission de conseiller d’orientation (devenu psychologue de l’Éducation nationale en 2017) s’attacherait davantage aux aspects « éducation » et « développement » du jeune, plutôt qu’au « conseil en orientation ».

Paul Lehner, maître de conférences à l’Université de Lille, auteur de l’ouvrage Les conseillers d’orientation, un métier impossible (PUF, 2020), retrace les injonctions paradoxales de la fonction, entre accompagnement réel des élèves, et résultats scolaires des jeunes, décisions des professeurs et verdict couperet de Parcoursup.

À l’inverse, dans son avis portant sur les métiers en tension et rendu au tout début de l’année 2022, le Conseil économique, social et environnemental, relève : « Des élèves sont encore trop souvent orientés par défaut vers des filières professionnelles dont, pour certaines, les modalités de formation offrent peu de débouchés et ne procurent pas à ces jeunes la possibilité de se réaliser en tant que jeunes travailleurs et travailleuses […] Cette situation renvoie à l’enjeu du véritable choix de l’orientation, et notamment à la possibilité offerte à tous les jeunes d’appréhender la diversité des métiers, des cursus et des perspectives professionnelles qui y sont liés. »

Des dispositifs ont été mis en place comme Parcours Avenir (inscrit au code de l’éducation), devant permettre aux élèves de la sixième à la terminale de construire progressivement une véritable compétence à s’orienter – comme le stage de 3e. Mais il est « très inégalement développé selon les classes et les établissements », indique le Cese. Dès lors « l’orientation est souvent réalisée par défaut ».

« Plus on est efficace sur l’orientation, moins il y a de parcours de rupture. Malheureusement, l’efficacité n’est pas toujours au rendez-vous. Un professeur principal n’a pas tous les outils pour faire connaître un métier. Les acteurs professionnels doivent s'investir dans l'orientation des jeunes. Encore faut-il que les établissements l’acceptent », estime Thomas Viron, directeur de l’IMT Grenoble.

Des propositions d’amélioration

Corollaire de ce qui précède : au moment de choisir leur voie, 43 % des jeunes interrogés en 2018 par le Credoc déclarent qu’ils n’ont pas de projet professionnel. Pourtant, chacun s’accorde sur ce point : le sujet de l’orientation représente une étape cruciale pour répondre efficacement à la problématique de l’emploi et à la trajectoire d’un jeune.

Alors que faire ? Pour mieux faire connaître les métiers et les secteurs d’activité, des initiatives se multiplient dans les territoires, à l’image des Nuits de l’orientation. Elles permettent à la fois à des entreprises d’exprimer leur besoin en emploi et, de l’autre, de faire découvrir des métiers à de jeunes collégiens, lycéens et étudiants. La dernière édition à Grenoble a rassemblé 406 professionnels et près de 3 000 jeunes.

D’autres acteurs (think tanks, branches professionnelles, syndicats…) formulent des propositions, à l’instar de CCI France qui, dans son étude « Comment résoudre le paradoxe des emplois non pourvus ? », propose deux axes d’amélioration : « L’intervention directe de professionnels dans les dispositifs d’orientation, et le renforcement des compétences des acteurs de l’orientation professionnelle sur les métiers en tension. » En attendant une (r)évolution sur ce sujet, un autre levier a toute son importance, celui de la formation initiale et de la formation continue. Avec là encore la question particulière des métiers techniques.

Pour de plus fortes synergies avec l’Éducation nationale

« Les demandes des recruteurs portent souvent sur des compétences très précises que la formation initiale ne peut pas forcément permettre d’acquérir même si, dans la période récente, les formations en lycées professionnels et en apprentissage se sont considérablement développées », décrypte le Cese. Et de citer l’exemple de la pénurie du métier de soudeur à des niveaux de technicité très élevés.

L’Apec souligne de son côté que la formation initiale « ne peut être tenue pour responsable des tensions récemment apparues sur le recrutement des cadres et ingénieurs. L’appareil de formation initiale s’étant toujours adapté, à moyen terme, aux besoins en compétences du marché », poursuit l’Association des cadres. « La tendance à reporter sur le système de formation initiale la fonction d’adaptation à l’emploi relève d’un choix collectif assez ancien dont il est difficile de se départir », analyse le Cese.

À rebours de cette attitude, des entreprises ou des filières professionnelles choisissent de passer directement à l’acte. Le groupe STMicroelectronics, fabricant de composants électroniques, a ainsi pris l’initiative de lancer, en mars, son école de la maintenance. « L’Éducation nationale ne peut pas tout faire, remarque Frédéric Bontaz, DRH de STMicroelectronics Crolles. À nous, les entreprises, de contribuer à la formation très spécialisée en étant en lien avec le système éducatif. »

L’apprentissage parvient également à tirer son épingle du jeu. Il est en augmentation de 32,5 % en 2021 par rapport à 2020, soit 834 000 apprentis en France. Et selon la Dares, en janvier 2022, six mois après leur sortie, 65 % des apprentis occupent un emploi salarié dans le privé (+ 4 points) et six cas sur dix sont en CDI. La réforme de 2018 semble donc faire consensus à tous niveaux. Un million d’apprentis sont espérés d’ici à 2027.

Se former tout au long de la vie

Face aux besoins en compétences des entreprises, la formule de la formation tout au long de la vie s’installe aussi dans les faits. Dans un monde qui se transforme vite, où les besoins en compétences et en qualifications augmentent et évoluent rapidement, « cela peut contribuer à faciliter les recrutements dans les métiers et les secteurs d’activité en tension ». C’est aussi vrai pour les nouveaux métiers, comme ceux de la transition, de la rénovation énergétiques, de la cybersécurité, etc.

La formation continue a donc un rôle prépondérant, aussi bien pour les demandeurs d’emploi, que les salariés en poste, qu’il s’agira demain d’accompagner jusqu’à l’âge de départ à la retraite. Des évolutions en cours. En trois ans, environ cinq millions de personnes se sont formées grâce à leur compte CPF.

« Avec une moyenne d’âge comprise entre 35 et 45 ans, les personnes viennent se former chez nous pour monter en compétences, commente Géraldine Sotto-Giroud, directrice de CCI Formation. Et depuis peu, nous constatons l’émergence d’une nouvelle génération d’individus qui aspirent à un autre métier et à changer de vie. Si nous traitions 5 à 10 dossiers par an de reconversions professionnelles auparavant, le nombre est passé à une trentaine en 2022. »

Des reconversions professionnelles en progression

En Auvergne-Rhône-Alpes, pour l’année 2022, Transition pro a financé 2 300 dossiers. Le Centre de bilan de compétences de l’Isère-Savoie (CIBC) constate une hausse sensible de 20 % des accompagnements sur 2021 par rapport à 2020. Les chiffres sont en croissance, dans des proportions jamais vues par les deux organismes.

En Isère, les cinq principaux métiers visés par des reconversions sont ceux de la santé, de la comptabilité, de la conduite de transport de marchandises, de l’assistance RH, et enfin de l’étude et du développement informatique. Des métiers régulièrement cités en tension, mais qui suscitent finalement un intérêt pour des personnes souhaitant changer de vie. Selon Thomas Viron, il y aurait un lien entre reconversions en plein essor, et échec en amont des processus d’orientation.

Si Charlotte Sauvage, responsable de Transition Pro à Grenoble, pose également la question de l’orientation au collège, elle souligne aussi celle d’une génération qui porte de nouvelles aspirations. « C’est sans doute l’effet de la crise sanitaire, reconnaît-elle. Avec des individus qui recherchent, entre autres, davantage de sens dans leur travail et d’équilibre avec leur vie personnelle. ».

Satisfaire les besoins de main-d’œuvre nécessite des actions concrètes et multiples, qui demandent une vraie coordination de l’ensemble des parties prenantes, voire une remise à plat profonde et structurelle des politiques, dès l’orientation ou la création de filières de formation initiale.

Malgré les réformes et les actions menées tambour battant depuis des décennies, il est urgent de placer le curseur plus haut, d’être plus ambitieux, aussi bien pour faire face aux défis d’aujourd’hui que pour répondre aux enjeux de demain. Comment en effet répondre aux besoins massifs qui émergeront dans certaines filières, et aux ambitions de souveraineté énergétique, alimentaire, industrielle, numérique, sans virages ni politiques volontaires et ciblées ? L’objectif du gouvernement est d’atteindre le plein-emploi d’ici à 2027, en appuyant prioritairement sur le volet de l’apprentissage. Dans le budget 2023, 6,7 Md€ supplémentaires lui sont accordés. L’initiative apportera-t-elle toutes les réponses ?

R. Charbonnier

Les chiffres clés de la formation continue

  • 14,9 Md€, montant du budget de France Compétences en 2023.
     
    Le budget sera une nouvelle fois déficitaire de 2,1 Md€.
  • 1,4 Md€, montant consacré au plan de réduction des tensions de recrutement (2022-2023), dont 600 M€ sont dédiés à la formation des salariés.
  • Plus de 4 millions d’actifs ont suivi une formation CPF entre 1er trimestre 2020 et le 3e trimestre 2022. 
  • 13 423 organismes de formation certifiés pour le CPF.
  • 7 individus formés sur 10 sont ouvriers ou employés en 2022.
  • 500 000 personnes ont opéré une reconversion professionnelle sur le 1er trimestre 2022. 53 % des reconversions correspondent à un changement de métier, 47 % à un changement de statut.
  • 372 100 emplois sont vacants au 3e trimestre 2022 (+ 3 % par rapport au trimestre précédent). Le secteur tertiaire marchand et celui de la construction sont les plus touchés.

Les chiffes clés de la formation initiale

  • 5 656 300 élèves du second degré (collège et lycée) ont été enregistrés à la rentrée 2022, dont 626 700 scolarisés en lycée professionnel

  • 2,97 millions d’étudiants (y compris apprentis en BTS) ont été inscrits dans l’enseignement supérieur pour la période 2021-2022. Un effectif en hausse de 2,5 % sur un an

  • 45 % des jeunes de 25 à 34 ans qui ne sont plus en études possèdent un diplôme de l’enseignement supérieur

  • 20,6 % des diplômés 2021 de grandes écoles ont réalisé leurs études en apprentissage

  • 860 000 apprentis sont en contrat en 2022

  • 64,8 % des élèves de troisième se sont orientés vers la voie générale et technologique, et 23,9 % vers la voie professionnelle en 2020

  • Le pourcentage de décrocheurs scolaires (18-24 ans) est passé de 8,9 % à 8 % en 2020, soit 80 000 jeunes sans qualification

    (Sources : Insee, Dares, ministère du Travail, ministère de l’Éducation nationale, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ministère délégué à la Formation professionnelle, Mon Compte Formation, Centre national d’études des systèmes scolaires, France Compétences, Pôle emploi, Conférence des grandes écoles, Injep)
     

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