L’économie du triple zéro : faire d’une menace une opportunité
Hugues Poissonnier, professeur à Grenoble école de Management et directeur de la recherche de l’Irima. L’originalité de la situation économique actuelle, caractérisée par la chute ou la stagnation des taux de croissance, d’intérêt et d’inflation lui vaut d’être qualifiée d’économie du triple zéro”. Les économistes qui ont popularisé cette expression voient dans la situation envisagée une menace sérieuse qui préfigurerait l’état stationnaire que décrivaient déjà les économistes dits classiques au xviiie siècle.
Vers une japonisation du monde ?
Même si l’érosion des potentiels de croissance s’observe partout, y compris au sein des pays les plus dynamiques, rares ont été, dans l’histoire, les véritables occasions de mesurer les impacts de l’économie du triple zéro. À vrai dire, seul le Japon donne à voir, depuis quelques années, la concrétisation de la menace. La zone euro se caractérise plutôt par une économie que l’on pourrait qualifier de “triple 1” alors que les États-Unis et le Royaume-Uni présenteraient des “économies du triple 2”. Il n’empêche que pour nombre d’économistes, la menace prendrait la forme d’une “japonisation du monde”. À bien analyser les tendances de long terme et leurs origines, la menace semble réelle. L’excès d’épargne mondiale, les choix de politique monétaire et, plus encore, le déclin de la productivité marginale du capital contribuent à faire tendre les taux d’intérêt vers zéro. Le progrès technique qui, jusqu’ici, avait toujours remis en cause la tendance de long terme vers l’état stationnaire ou la croissance zéro, peine aujourd’hui à perpétuer ce rôle historique. Comme l’affirme Olivier Passet (1), le progrès technique sans débouché ne produit que de la désinflation. Le doigt est mis sur le point clé : le rôle de la demande et des débouchés. C’est aujourd’hui précisément l’insuffisance de la demande qui donne à l’économie du triple zéro son principal pouvoir d’attraction en Europe, comme dans une moindre mesure aux États-Unis.
Repenser l’économie dans son ensemble
Puisque, selon la belle formule du poète allemand Hölderlin, “Là où croît le péril… croît aussi ce qui sauve”, derrière la menace de l’économie du triple zéro se cache sans doute l’opportunité de repenser l’économie. Depuis plusieurs années, les indicateurs classiques sont remis en cause. Des indicateurs comme le Bonheur national brut (2), utilisé depuis 1972 au Bhoutan, sont de plus en plus observés et pilotés en complément du traditionnel taux de croissance du PIB. Au-delà de ce dernier, le contenu en emploi de la croissance me semble être un indicateur judicieux, comme pourrait l’être, à titre d’exemple complémentaire, le contenu en emploi de la dépense publique. De manière générale, il s’agit de passer d’une vision et d’une logique quantitatives à une logique qualitative. La difficulté à améliorer les indicateurs traditionnels, y compris pour des raisons de soutenabilité et de préservation des ressources, doit contribuer, plus que jamais, à mettre notre créativité au service de la qualité de la croissance. Que cette dernière soit de 2 %, de zéro ou même légèrement négative (3) ne change finalement pas grand-chose à l’affaire.(1) Économiste, directeur des synthèses, Xerfi.(2) Dans le classement mondial du Bonheur national brut, désormais publié chaque année, la France occupait la 29e position en 2015.(3) Ce sera sans doute le cas lorsque la population mondiale commencera à diminuer, à compter de 2050, comme l’anticipent la majorité des démographes.
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