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Numérique - Accueil — Le 26 février 2020

Intelligence artificielle : Grenoble en tête !

Peu de métropoles dans le monde sont en mesure de revendiquer une taille critique dans le domaine de l’intelligence artificielle. Grenoble compte parmi celles-ci. Sur bien des axes de l’IA, elle rassemble à la fois formation, centres de recherche privée et publique, grandes entreprises et start-up. Un terreau propice qui s’est vu, de plus, doté de l’un des quatre instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle créés en France. Cartographie des acteurs et enjeux pour le territoire.

© AdobeStock

En 2016, un livre blanc* de l’Inria pointait déjà l’année comme celle de l’intelligence artificielle. Alors que dire de la décennie qui s’ouvre ? “Ce qui change radicalement, c’est l’émergence d’un marché. Depuis la naissance de la discipline – que l’on fait remonter au test de Turing en 1950 et à la création du terme même d’intelligence artificielle en 1956 aux États-Unis – le sujet occupait essentiellement les scientifiques et la recherche académique, et les réalisateurs et auteurs de science-fiction ! Le tournant vient de l’intérêt majeur du monde industriel, à la recherche de solutions disruptives, et aux investissements colossaux consentis par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi)”, souligne Patrick Gros, directeur du centre Inria Grenoble Rhône-Alpes. Selon la société de conseil technologique Keyrus, le marché mondial de l’IA, estimé à 4 Md$, augmenterait de façon exponentielle à 60 Md$ d’ici 2025. Signe de la force de cette déferlante : “Une conférence scientifique à Vancouver au Canada sur l’apprentissage neuronal a accueilli 19 000 personnes et en a refusé 7 000… Nous n’avions jamais vu cela !”

Les enjeux du deep learning

Mobilité sans chauffeurs, assistants personnels, domotique, diagnostic médical assisté… les applications de l’intelligence artificielle sont déjà omniprésentes dans notre quotidien. Beaucoup d’entre elles concernent une intelligence artificielle dite “faible”, c’est-à-dire des systèmes informatiques programmés pour accomplir une tâche spécifique, toujours la même. “On est encore loin d’une intelligence artificielle dite forte, qui s’inspirerait du fonctionnement du cerveau humain aux moments de la vie où il est le plus plastique, par exemple lorsqu’un enfant entre 1 et 3 ans apprend tout à la fois à marcher, sauter, jouer, s’amuser, et donc à créer, interagir, et non répéter de façon mécanique”, poursuit Patrick Gros. Les recherches en informatique s’attachent déjà à reproduire des réseaux de neurones artificiels. Appelées “deep learning” (apprentissage profond), elles sont popularisées en France par Yann Le Cun,précurseur du domaine dans les années quatre-vingt-dix et aujourd’hui scientifique en chef de l’IA chez Facebook. “Au début, peu de personnes croyaient aux travaux de Yann Le Cun. L’Inria s’est intéressé très tôt à la thématique, et comme la robotique, nous l’avons maintenue en dépit des phénomènes de mode ou des contre-courants du moment.” Mais c’est à partir de l’année 2015 que se produit la détonation, lorsque trois grandes technologies s’entrecroisent : Big data, super calculateurs, et deep learning. Des avancées fondamentales deviennent alors utilisables en pratique. Avec là encore une date repère : en 2016, le programme de deep learning AlphaGo, détenu par Google, bat au jeu de go l’un des meilleurs champions au monde.

Un programme national pour l’intelligence artificielle

Grâce à l’arrivée de la 5G, toutes les conditions se trouvent réunies pour un déploiement massif dans la décennie 2020. En tête, les États-Unis et la Chine, qui déploient des investissements considérables pour garder le leadership. Suivent Israël, le Canada, le Royaume-Uni, mais aussi la France, par l’excellence de son école mathématique et informatique. En ligne de mire, des transformations aux impacts économiques majeurs, comme les véhicules autonomes, les nouveaux systèmes de défense ou de surveillance, l’automatisation et la robotisation à l’ère de l’industrie 4.0, la traduction automatique, le traitement intelligent des données issues des objets connectés. En mars 2018, le rapport du mathématicien et député de l’Essonne Cédric Villani plaide “pour une stratégie nationale et européenne” fondée sur de “hauts standards de protection” des données publiques et privées. Il propose de concentrer l’effort sur quatre secteurs prioritaires : santé, environnement, transport mobilités et défense-sécurité. Il défend enfin la création “d’Instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle” répartis sur le territoire national, “réunissant chercheurs, ingénieurs et étudiants” ; le 24 avril 2019, quatre instituts sont labellisés par l’État, à Grenoble, Nice, Paris et Toulouse.

L’alliance des composants innovants et du logiciel

Les caractéristiques de l’institut MIAI Grenoble Alpes ? “Il se différencie fondamentalement par le continuum entre matériel et logiciel. La place de Grenoble se distingue tant par une expertise sur les données et l’informatique qu’une vraie spécialité, unique au sein des instituts d’IA français, sur les composants et capteurs faisant appel à des matériaux innovants. Or, il est essentiel d’avancer en parallèle dans ces deux registres. C’est par exemple le cas dans le domaine de la santé, lorsqu’il s’agit d’inventer des capteurs non invasifs et des traitements personnalisés pour le corps humain”, énonce Éric Gaussier, directeur du laboratoire d’informatique de Grenoble et de MIAI Grenoble Alpes.

Trente-deux programmes de recherche à Grenoble

Pas moins de 60 entreprises (Atos, STMicroelectronics, Schneider Electric, Thales…), 50 start-up (Neovision, Skopai, Pixyl…) se trouvent réunies, aux côtés des acteurs académiques comme l’Université Grenoble Alpes, l’Inria, le CEA, le CNRS, Grenoble INP, l’Inserm ou Grenoble École de Management. Avec un budget de 19 M€ sur quatre ans, l’institut a déjà retenu sept grands axes de recherche, autour de deux grands thèmes : IA du futur (apprentissage automatique, vision par ordinateur, communication vocale, conception matérielle, informatique distribuée…), et IA pour l’humain et l’environnement (IA et société, médecine, sciences de la terre et du climat, énergie, industrie 4.0). Ils regroupent 32 chaires de recherche, qui ont déjà démarré leurs travaux et feront l’objet de restitutions régulières. “Un focus est aussi mis sur la formation. Près de 700 étudiants suivent des enseignements liés aux technologies et applications de l’IA. Nous avons l’ambition de doubler ce nombre, en créant le label ‘Qualification professionnelle en intelligence artificielle’ pour reconnaître des compétences sur des thèmes centraux de l’IA”, déclare Éric Gaussier. L’Institut vise surtout, d’ici trois à quatre ans, à lever des verrous scientifiques et technologiques sur le développement de nouveaux outils d’IA “en exerçant un effet de levier pour les industriels associés”.

Favoriser l’essaimage de start-up

Au-delà de l’excellence grenobloise reconnue par la richesse de ses acteurs académiques, la fibre entrepreneuriale et le vivier en start-up s’affirment, là encore, exceptionnels ! Avec déjà des réussites emblématiques, telles celles de la société Diabeloop, qui embarque de l’intelligence artificielle pour une gestion automatisée du traitement de diabète de type 1, ou Neovision, entreprise essaimée de l’Inria (voir encadré). La SATT Linksium est aux avant-postes de cette dynamique. La société d’accélération de transfert de technologies répertorie, parmi les 150 entreprises qu’elle a accompagnées, 15 start-up recourant à une ou plusieurs briques technologiques de l’intelligence artificielle. Dont Amiral Technologies (maintenance industrielle prédictive), Odonatech (fintech), Optimove (optimisation des mouvements humains), Topplan (planification de réseaux électriques). Ou encore Demosaic, une start-up tout juste créée, issue d’un laboratoire du CNRS et exerçant son activité dans la reconstruction des images couleur. “L’intelligence artificielle s’impose comme une deep tech forte à Grenoble, en occupant 10 % des projets de création soutenus par Linksium. Cette part devrait encore croître à l’avenir, car l’excellence grenobloise et les nouvelles vocations de chercheurs se verront renforcées par l’Institut. Carole Silvy qui pilote la maturation des projets chez Linksium est d’ailleurs à l’Innovation Board du MIAI Grenoble Alpes pour favoriser les essaimages à partir des laboratoires de recherche”, précise Véronique Souverain, responsable communication de la SATT. “Le plus grand défi sur ces technologies disruptives consiste à identifier les applications les plus impactantes pour les utilisateurs, et à ouvrir les premiers marchés. Ces technologies exigent un travail de mise en adéquation pour que les industriels l’intègrent dans leurs process et qu’ils en tirent bénéfice.” La création de démonstrateurs pour des marchés très ciblés fait précisément l’objet du parcours de maturation et d’incubation des start-up.

Refonder un nouvel ordre économique

L’une des marques de fabrique de MIAI Grenoble Alpes, tout comme des instituts français, est la place centrale accordée à l’éthique, et aux impacts de l’IA sur l’homme et la société. “Notre volonté n’est pas tant de définir un nouveau cadre, que de proposer aux décideurs des éléments de réflexion éthiques, juridiques, pour prendre des décisions avisées, en matière de droit des données par exemple”, illustre Éric Gaussier. MIAI Grenoble Alpes aspire ainsi à apporter une contribution active à l’édification d’un écosystème européen en matière de protection des données. Le contexte est désormais mûr pour cela : “L’Europe doit fixer ses propres critères d’exploitation et de stockage de futurs gisements massifs de données… Ma responsabilité est de mettre en oeuvre les règles qui permettront à l’Europe de la donnée de se développer et de prospérer” déclarait ainsi, en janvier dernier, Thierry Breton, commissaire européen en charge du marché intérieur dans une interview aux Échos. Mais au-delà d’un droit des données, il s’agit aussi d’édifier le nouvel ordre économique du XXIe siècle. “Les données sont la matière première essentielle pour développer de nouveaux usages, services, produits, par le biais de l’intelligence artificielle”, martèle Thierry Breton. Le rapport Villani ne dit pas autre chose : “Dans la mesure où les chaînes de valeur, surtout dans le secteur numérique, sont désormais mondiales, les pays qui seront leaders dans le domaine de l’IA seront amenés à capter une grande partie de la valeur des systèmes qu’ils transforment, mais également à contrôler ces mêmes systèmes, mettant en cause l’indépendance des autres pays.” À Grenoble, on ne méconnaît pas l’importance du sujet. La vision est claire : selon Éric Gaussier, “dans un monde largement dominé par les géants des Gafam ou des BATX, il peut être tentant de limiter l’IA à ses aspects les plus visibles, c’est-à-dire au web et aux réseaux sociaux. Or les enjeux de l’intelligence artificielle sont avant tout industriels !”
É. Ballery

*Intelligence artificielle, les défis actuels et l’action d’Inria, Livre blanc, n° 1

FOCUS SUR L’IA
• Impacts sur l’emploi en France : 11 200 spécialistes de l’IA en 2019, 21 200 en 2023 (+59 %). Modification sur les contenus d’autres métiers (consultants en management, en recrutement, chef de produit…)
• Applications : industrie, robotique, santé, médias, cybersécurité, fintech, assurances
• Technologies : deep learning, machine learning, algorithmes avancés, reconnaissance d’images, vidéo, texte et signal audio, traitement automatique du langage.
• Marché mondial : 4 Md$ en 2018, 60 Md$ en 2025

Sources : Syntec et Keyrus.

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