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Services — Le 9 septembre 2025

Nouvelles mobilités : va-t-on enfin passer à la vitesse supérieure ?

En cours de redéfinition, l’économie des mobilités a fixé l’utilisation des nouvelles énergies bas carbone dans une norme établie d'ici 2030, avant d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Comment tenir les ambitions de ces feuilles de route, au croisement des défis de qualité de l’air, de climat et de souveraineté ? En ordre de marche, les acteurs locaux de la filière restent en attente d’un sursaut de la demande et d'une meilleure visibilité politique.

© Adobestock

À Grenoble, c’est toute une filière qui se construit autour de la mobilité électrique. Avant la fin de cette année, l’entreprise Verkor (CA 2023 : 5,1 M€, 750 salariés fin 2024 dont 500 à Grenoble) devrait démarrer la production de sa gigafactory près de Dunkerque. Objectif : équiper en batterie bas carbone 300 000 véhicules électriques par an d’ici 2027. Verkor incarne l’identité du bassin grenoblois en matière d’énergie, à la pointe d’un écosystème qui mobilise de nombreux acteurs de toutes tailles, dont Tolv (ex-Phœnix Mobility) fut l’un des tout premiers maillons. Créée en 2019, la start-up fontainoise s’est spécialisée dans la conception de kits de conversion pour les véhicules utilitaires légers. Elle avait signé l’an passé un accord de partenariat exclusif avec le constructeur au losange pour rétrofiter le Renault Master à l’échelle industrielle, s’imposant dès lors comme le leader français du rétrofit. Tolv a annoncé ce mois de juin une levée de fonds de 4 M€, dont 1 M€ ouverts au grand public via la plateforme CrowdCube. Avec la massification de la conversion dans le viseur : « Il s’agit maintenant de développer une plateforme de rétrofit adaptée à plusieurs marques et modèles d’utilitaires à l’échelle européenne : Nissan West Europe, Stellantis, Ford Motor Company, Mercedes-Benz France… » précise Wadie Maaninou, cofondateur et directeur général de Tolv. L’entreprise prévoit la production d’un millier de kits de conversion dès 2026, et 6 800 unités à l’horizon 2030. 

Un écosystème local tourné vers l’innovation

Tolv n’est pas la seule entreprise impliquée dans la mobilité bas carbone à se tourner vers le financement participatif. La start-up grenobloise Gulplug (CA 2024 : 242 k€, 7 salariés), spécialiste du branchement automatique des véhicules électriques, a elle aussi entamé une campagne, à peu près au même moment, dans le but de collecter 500 k€. Cette somme doit compléter les 637 k€ investis par les actionnaires et fondateurs de l’entreprise. Gulplug tente d’imposer un nouveau standard pour la recharge à domicile, dans les parkings et en entreprise, à l’échelle internationale. De son côté, Entroview démarre la commercialisation de sa solution plug & play destinée au diagnostic santé des batteries des véhicules électriques. Ce spin-off de GIPSA-Lab, positionné d’abord sur le contrôle qualité des gigafactories, mise aujourd’hui sur le marché des batteries en fin de vie avec l’essor des véhicules électriques d’occasion. La start-up, qui avait levé 1,5 M€ en 2024, s’adresse aux déconstructeurs et recycleurs de voitures, aux garages ainsi qu’aux compagnies d’assurances. Entroview rappelle les enjeux : « Notre solution permet de mesurer précisément la durée de vie des batteries des voitures électriques. Or ces batteries, qui représentent à elle seule près de 40 % du coût des véhicules, sont souvent remplacées bien avant d’être hors d’usage. » Un diagnostic détaillé de l’état de santé des batteries peut aussi constituer un puissant levier d’engagement sur le marché de l’occasion.

Le réseau des stations de recharge s’étend

Cette détermination à innover s’exprime dans un contexte national ambivalent. D’un côté, les ventes de voitures électriques progressent chaque année en France. En 2024, 17 % des ventes de voitures neuves ont concerné des véhicules électriques, avec une part croissante de modèles produits en France : 10 % en 2023, 17 % en 2024 et 29 % espérés cette année (ministère des Transports). Le marché de l’occasion gagne aussi en attractivité, avec pour la première fois en juin un prix moyen des véhicules passé symboliquement sous la barre des 20 000 euros (La Centrale-Anere France). De l’autre côté, les budgets consacrés aux bonus et au soutien de la demande sont en forte baisse, au motif que « les technologies sont désormais matures », selon l’ancien ministre délégué aux Transports François Durovray en octobre 2024 (Le Monde). Le Conseil de planification écologique du 31 mars dernier a toutefois décidé la poursuite du leasing électrique pour les ménages les plus modestes. Et l’Europe maintient son objectif d’arrêt de la production des véhicules thermiques en 2035. Une donnée encourageante pour les utilisateurs : le réseau des stations de recharge continue son développement. Fin mai, la France disposait de plus de 160 000 points publics (+ 30 % en un an) et de près de 2,5 millions de points privés, selon Marc Ferracci, ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie, ce qui en ferait « le réseau plus dense d’Europe ». Symbole éloquent de l’évolution des mobilités en ville, Grenoble inaugurait ce mois de juillet sa première station-service 100 % électrique. TotalEnergies a remplacé les anciennes pompes à essence du boulevard Foch par quatre bornes de recharge ultrarapides de 300 kW, soit huit points de recharge, compatibles avec l’ensemble des connecteurs sur le marché.

La solution de la légèreté

Dans les zones périurbaines et rurales, c’est le développement d’une filière de véhicules électriques intermédiaires, les « vélis », qui pourrait peut-être accélérer les changements de comportement. Bénéficiant d’un financement de France 2030, le programme eXtrême Défi (XD) Mobilité 2022-2025 porté par l’Ademe veut y contribuer, avec l’appui de constructeurs, chercheurs et collectivités. L’innovation est en marche : plus de cent prototypes ont pu être testés dans vingt territoires. Dix d’entre eux ont même atteint le stade industriel. Avec plus de 26 000 véhicules L6/7 (quadricycles de puissance 4 à 15 kW) neufs en 2023, la France se positionne déjà en leader européen sur ce segment. « Au regard des besoins et selon les capacités de production des constructeurs, le pays pourrait atteindre un parc de 3,5 millions de vélis d’ici 10 ans, avec des ventes annuelles de l’ordre de 400 à 500 000 véhicules dans le viseur. Sachant qu’aujourd’hui, plus de 2 millions de véhicules restent à verdir dans les flottes et que plus de 15 millions de personnes sont en situation de précarité de mobilité en France », observe l’Ademe. 

La mobilité lourde dans le viseur

Pour autant, les véhicules lourds sont encore responsables de 27 % des émissions de GES liés aux transports, alors même qu’ils ne représentent que 1,3 % des véhicules roulants en France (Ademe). Or, camions et transports de tourisme se heurtent à des défis de taille pour franchir un pas décisif vers la décarbonation : outre le prix des engins, l’autonomie pour fiabiliser les temps de parcours, le réseau de bornes de recharge de grande puissance… L’objectif de l’Union européenne est de réduire les émissions de gaz à effet de serre des camions de 15 % en 2025 pour tous les véhicules neufs vendus par les constructeurs par rapport à 2019. Puis de 45 % en 2030, et de 90 % en 2040. L’actuel ministre aux Transports Philippe Tabarot a rappelé en juin lors de l’assemblée générale de l’Union des entreprises transport et logistique de France l'importance d'obtenir un « maillage solide d'infrastructures de recharge pour les poids lourds » et des aides élargies pour toutes les bornes. En début d’année, on comptait 24 stations publiques dédiées aux poids lourds et près d’un millier de points privés. Selon Enedis, la mobilité lourde nécessiterait aujourd’hui 12 200 points de recharge, dont 2 200 en pauses courtes, pour un coût estimé à 639 M€. Le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité s’est associé à TotalEnergies, Vinci Autoroutes et différents constructeurs européens pour déployer en 2024 cinq stations ultrapuissantes pour les poids lourds et les autocars longue distance sur l’axe Paris-Lyon. Une initiative encore isolée, qui ne peut encourager à elle seule la demande des camions électriques : sur les 50 000 vendus en France en 2024, seuls 670 étaient électriques. 

L’hydrogène en embuscade

En attendant, ce sont les motorisations au biocarburant B100 à partir de colza (surtout) et au GNV qui se substituent, lentement, au diesel. L’hydrogène pourrait aussi s’inviter dans le mix. En tout cas, la région Auvergne-Rhône-Alpes y croit. Elle coordonne depuis 2018 le projet européen Zero Emission Valley (ZEV) visant la mobilité zéro émission sur l’ensemble de son territoire. À ses côtés, Engie, Michelin, la Banque des Territoires et le Crédit Agricole ont mis en place un partenariat public/privé à travers une structure commerciale. HYmpulsion, c’est son nom, conçoit, dimensionne, installe et entretient les infrastructures hydrogène du projet ZEV. Sept sont déjà en service sur le territoire AURA, dont une à Saint-Égrève. « Six autres inaugurations sont prévues cette année et trois projets sont en phase d’étude avancée. Nous tablons sur une vingtaine de stations d’ici 2026 », précise Thierry Caparros, responsable projet fiabilité chez HYmpulsion. Inaugurée au printemps 2024, la station de Saint-Égrève a été construite par HRS, leader européen des stations de ravitaillement en hydrogène, basé à Champ-sur-Drac. « À partir de leur modèle de station H14, ils ont déployé pour nous la H28, qui peut assurer le plein pour plusieurs bus et poids lourds simultanément. » Capacité journalière de la station : jusqu’à 600 kilos d’hydrogène vert (issu de l’électrolyse de l’eau avec l’électricité des barrages), pour notamment quatre bus que la Métropole de Grenoble a prévu d’approvisionner ici.

Un secteur qui redistribue ses cartes

HRS, qui avait installé une dizaine de stations au second semestre 2024 en France, Espagne et Arabie Saoudite notamment, fait face aujourd’hui à un contexte économique incertain et à l’instabilité politique mondiale. En début d’année, le gouvernement a revu à la baisse ses objectifs de capacité hydrogène : 4,5 GW au lieu de 6 d’ici 2030 et 8 GW au lieu des 10 prévus à horizon 2035. Si cela reste « ambitieux » pour Patrick Boucly, président de France Hydrogène, c’est un signal qui douche l’enthousiasme des acteurs de la filière. Le fabricant d’électrolyseurs pour la production d’hydrogène décarboné McPhy attendait la décision du tribunal de commerce de Belfort le 8 juillet pour connaître le nom d’éventuels repreneurs d’une partie de son activité. Dès l’été 2024, toutefois, le spécialiste savoyard des stations d’hydrogène vert Atawey avait racheté la production de stations de recharge d’Atawey, avec ses 44 collaborateurs. D’autres entreprises tracent leur route, comme la start-up Inocel, à Saint-Égrève : l’expert des piles à combustible de forte puissance a signé en début d’année un partenariat stratégique avec Equans, la filiale de Bouygues spécialisée dans la production énergétique bas carbone. Destinée d’abord aux data centers et aux zones portuaires, l’activité d’Inocel adressera dans une deuxième phase les secteurs du maritime et de la mobilité lourde. L’innovation grenobloise ne décélère pas. À Eybens, Absolut Group, créé il y 13 ans par d’anciens ingénieurs d’Air Liquide, conçoit des liquéfacteurs d’hydrogène à travers son unité Absolut Hydrogen. « La liquéfaction est nécessaire pour contenir une plus grande masse d’hydrogène dans un plus petit volume. Elle permet donc de parcourir de plus longues distances sans réduire l’espace de chargement, répondant ainsi aux besoins d’autonomie », explique l’entreprise qui bénéficie déjà d’une expérience solide en gestion d’hydrogène liquide pour les voitures de course et les projets spatiaux. En attendant la mise au point d’un gros liquéfacteur capable de fournir une tonne d'hydrogène liquide par jour d'ici la fin de l'année, Absolut Hydrogen a été sélectionnée pour fournir un liquéfacteur à Toulouse INP, soutenu par l’Agence nationale de la recherche et France 2030.

Le défi de la massification

« En fait, la filière hydrogène n’a jamais été aussi active », tient à rassurer Olivier Cateura. Le délégué général du pôle de compétitivité Tenerrdis et délégué régional de France Hydrogène évoque simplement « un redimensionnement de l’enveloppe budgétaire alors que les priorités sont confirmées ». Le pôle Tenerrdis mène plusieurs projets destinés à structurer la filière : AmetHYste, qui a permis de lancer des expérimentations de mobilité hydrogène dans la vallée de l’Abondance pour aboutir à un démonstrateur européen de car rétrofité, ImagHYne, avec la Région comme moteur, pour déployer 57 MW de nouvelles capacités d’électrolyse et plus de 260 véhicules routiers ou non à pile à combustible, ou encore PRHyUS, qui ambitionne de rapprocher les écosystèmes européens de l’hydrogène. « Ça fonctionne, on sait faire, les risques sont pleinement maîtrisés, appuie Olivier Cateura. Le défi, maintenant, est de passer aux volumes. D’où l’enjeu des régions pilotes, comme Auvergne-Rhône-Alpes, à se coordonner à l’échelle européenne pour gagner en échelle et faire baisser les coûts de production. »

Créer de la valeur en Isère

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui constitue l’un des socles de la stratégie française d’adaptation au changement climatique, propose « l’électrification des usages comme moyen privilégié de décarbonation de la mobilité routière ». Et veut réserver l’hydrogène à « certains cas d’usage spécifiques nécessitant une longue autonomie sur la journée, une forte disponibilité, un maintien de la charge utile ou encore des besoins énergétiques plus importants ».

Quel que soit le mix final dans lequel s’engagera la France, il lui faudra surtout assurer sa souveraineté énergétique. C’est-à-dire accroître son indépendance vis-à-vis des pétroliers, mais aussi se prémunir des vagues de voitures électriques importées notamment d’Asie. En 2024, la Chine a réussi à baisser les prix de ses batteries pour véhicules électriques de près de 30 %, contre une réduction de 10 à 15 % seulement chez les constructeurs européens, selon BloombergNEF. L’augmentation des droits de douane sur les véhicules électriques chinois décidée par l’Europe en 2024 pourra-t-elle à elle seule protéger longtemps nos industries et leurs emplois ?

R. Gonzalez

Lire la deuxième partie de notre dossier : Déplacements : l'actualité des grands dossiers grenoblois

Les entreprises utilisatrices incitées à faire mieux

Promulguée dès fin 2019, la loi d’orientation des mobilités (LOM) veut transformer en profondeur le secteur des mobilités, avec dans le viseur la décarbonation des transports terrestres d’ici 2050. Les entreprises disposant d’une flotte supérieure à 100 véhicules ont des obligations de renouvellement vers des modèles à faibles émissions (moins de 60 g/km de CO2). Près de 3 700 entreprises seraient concernées en France : grands groupes, sociétés de leasing, loueurs de véhicules de courte durée, représentant les deux tiers des achats de véhicules en France. Un calendrier progressif d’application de cette obligation a été établi. Depuis 2024, 20 % des renouvellements doivent ainsi être des véhicules à faibles émissions. Ce sera 40 % à partir du 1er janvier 2027 et 70 % à partir du 1er janvier 2030. Les efforts à venir seront d’autant plus intenses que les émissions de GES dans les transports de marchandises et de voyageurs ont été supérieures aux valeurs fixées par le plan France nation verte pour 2024 : 117,7 millions de tonnes équivalent CO2, contre un objectif de 109, selon le Conseil de planification écologique. Autrement dit, l’électrification du parc de voitures des entreprises aurait pris un an de retard sur la trajectoire définie. Une tendance confirmée par une étude de l’ONG Transport & Environnement, selon laquelle les achats de véhicules électriques n’ont jusqu’ici représenté que 12 % des achats de véhicules par les sociétés visées par la loi LOM. Les collectivités locales montent au créneau pour les entreprises de moins de 250 salariés. La Métropole de Grenoble et l’Ademe proposent un accompagnement à l’investissement dans un nouveau véhicule moins polluant (électrique, GNV, GPL, hydrogène, rétrofit). Elles ont mis en place un dispositif d’aide incluant conseil individualisé gratuit et soutien financier jusqu’à 40 % du coût HT du véhicule, cumulable avec les autres aides de l’État (prime à la conversion, avantages fiscaux…).

Plus d’infos : demarches.grenoblealpesmetropole.fr/contacts/

Le Grésivaudan propose des encouragements financiers similaires auprès des entreprises de son territoire : le-gresivaudan.fr/favpro 

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