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Economie verte / Smart city - Experts — Le 8 septembre 2025

La RSE à l’heure de la réalité économique

Le recul de deux ans de l’application de la CSRD obligeant à la formalisation d’un rapport extrafinancier pour certaines entreprises, et l’allègement de ses dispositions par l’Union européenne, soulèvent des questions de fond pour les décideurs. Quelles sont les nouvelles obligations en vigueur ? Quels sens et opportunités donner à ces révisions ? Existe-t-il un risque de ralentissement des engagements en matière de RSE, ou au contraire, la marche en avant des démarches déjà impulsées est-elle inéluctable ? Pour de nombreux experts et entreprises, le cap vers plus de transparence, de durabilité et de responsabilité, en dépit des incertitudes, semble inévitable. Réactions et témoignages.

© Adobestock

« Désastreux. » C’est en ces termes que François Gemenne, enseignant-chercheur en géopolitique de l’environnement, décrivait le report du calendrier de la mise en œuvre de la directive européenne CSRD (lire son interview, Présences, édition de juin). La loi du 30 avril 2025 a ainsi entériné un recul de deux ans de son application pour les grandes entreprises et les PME cotées. La position de l'Union européenne est de simplifier les règles relatives à la publication d'informations en matière de durabilité dans le but, notamment, de restaurer la compétitivité en Europe. Cette « mise sur pause » concerne les entreprises qui n’étaient pas encore soumises à la CSRD, mais qui devaient initialement l’être à court terme. 

Prévue pour s’appliquer à près de 50 000 entreprises en Europe, la directive voit désormais son champ d’application se réduire : environ 80 % des entreprises touchées par son déploiement sont temporairement exclues du dispositif. Ces dernières n’auront donc plus l’obligation d’établir et de publier un rapport de durabilité pour 2026. Cela impacte les grandes entreprises cotées ou non, dépassant 250 salariés, dont l’obligation est reportée à 2028 (pour l’exercice 2027). Pour les entreprises de la troisième vague, soit les PME cotées sur le marché réglementé, elles n’auront pas à produire un rapport en 2027 pour les exercices 2026, mais en 2029. En revanche, certaines grandes entreprises (de plus de 1 000 salariés, et dépassant 50 M€ de chiffre d’affaires) ne sont pas ciblées. Déjà soumises à la Déclaration de performance extrafinancière (DPEF), elles devront publier leur premier rapport de durabilité en 2025, au titre de l’année 2024.

« La CSRD a pour objectif louable de renforcer la transparence sur la durabilité via un reporting extrafinancier intégrant les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance. La repousser constitue un recul notable », constate Laëtitia Guibert, consultante en transformation stratégique accompagnant les entreprises dans leur démarche RSE

Des entreprises favorables à la CSRD 

Loin de s’opposer au report des obligations, des entreprises directement concernées ont vu plutôt dans la directive l’opportunité de reconnaître leurs efforts. Selon une étude* du collectif #WeAreEurope, menée en partenariat avec HEC Paris et codirigée par François Gemenne, 61 % des entreprises européennes se déclarent ainsi favorables à la version précédente de la directive. En France, ce chiffre grimpe à 64 %. Plus encore, 62 % des répondants estiment que la CSRD constitue un véritable atout stratégique pour la souveraineté économique de l’Union européenne. Plutôt qu’un recul réglementaire, les entreprises appellent à des ajustements techniques ciblés. Seuls 25 % des intervenants sondés soutiennent en effet la proposition, contenue dans le projet de directive Omnibus, visant à relever à 1 000 salariés le seuil d'application de la CSRD. Le report risque-t-il de freiner la dynamique engagée ? « Certaines entreprises ont suspendu leur mise en conformité », alerte Laëtitia Guibert. Un signal préoccupant, à l’heure où les transitions environnementales et sociales s’imposent. 

Des investisseurs attentifs

Contraignante et complexe à mettre en œuvre, la démarche n’en reste pas moins stratégique, y compris pour les entreprises temporairement exclues du périmètre obligatoire. « Le sujet de l’adaptation au changement climatique concerne toutes les entreprises, quelles que soient leur taille ou leur activité. Celles qui n’engagent pas de transition peuvent prendre le risque de perdre leur positionnement sur leur marché », souligne Sylvain Brissot, directeur de la coordination de la transition climatique à la Caisse d’Epargne Rhône Alpes. L’enjeu est donc clair : sensibiliser les entreprises à leurs impacts et responsabilités, améliorer leur résilience, tout en diminuant leur impact environnemental. « Nos entreprises sont performantes, mais leur robustesse reste fragile. La RSE permet d’amortir les chocs économiques et climatiques, comme le roseau plie sans se rompre », analyse Laëtitia Guibert. « Elle est au cœur, à la fois, de la durabilité et de la rentabilité de demain », ajoute François Gemenne.

De grandes entreprises tenues de s’y conformer l’ont bien compris, qui exigent inévitablement des données ESG de leurs fournisseurs. Les TPE et PME, bien qu’exclues de la réglementation européenne, car plus petites, ne sont pas à l’abri de ses effets. Pour maintenir leurs relations commerciales avec les grands comptes, elles doivent transmettre des informations de durabilité. Une exigence qui représente un défi important en termes de ressources humaines et de compétences. L’effort peut toutefois s’avérer payant, et surtout structurant sur le long terme. Les entreprises les plus avancées en matière de RSE bénéficient d’ailleurs déjà d’avantages concurrentiels réels, notamment sur le plan financier, que ce soit en facilitant leur accès au crédit, en renforçant la confiance des investisseurs ou en réduisant certains coûts opérationnels. « Lors de l’analyse d’un profil client, nous nous basons désormais sur les données extrafinancières. Elles nous donnent une meilleure lecture de son business model et de sa capacité de résilience, détaille Nicholas Vantreese, directeur impact, climat et RSE de la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes. Quant aux entreprises moins matures sur le sujet, nous les accompagnons dans leur transition, en adaptant notre approche à leur niveau de sensibilisation et à leur secteur d’activité. »

Interroger son modèle d’affaires

Une transformation qui ne se fait pas sans heurts. Car les freins à la généralisation des démarches RSE restent nombreux. De grandes entreprises, parfois solidement implantées sur leur territoire, n’ont pas formalisé de stratégie claire, ou ne l’ont fait que très récemment. Laëtitia Guibert identifie trois raisons majeures à ce retard : « Une absence de visibilité quant au retour sur investissement à court terme, un déficit d’acculturation, avec des dirigeants qui résument encore la RSE au simple tri des déchets. Et dans certains cas un manque de courage, car s’engager dans une vraie démarche RSE, c’est accepter de remettre en question son modèle d’affaires. » La consultante nuance le propos : « Mais beaucoup d’entreprises agissent déjà à différents niveaux, sans pour autant labelliser leurs initiatives sous le nom de RSE. » Autrement dit, des bases sont là, mais de façon informelle. Reste à les structurer, à les nommer en tant que telles, et surtout à les inscrire dans une stratégie globale et durable.

En définitive, si la RSE repose avant tout sur du bon sens, la question n’est plus de savoir si les entreprises doivent s’engager dans une démarche de responsabilité, mais bien de comprendre comment la structurer et à quel rythme l’adopter. Quant aux organisations déjà en avance sur ces sujets, « le défi est d’aller maintenant plus loin, en intégrant la notion de limites planétaires et en inscrivant leur modèle dans une logique d’entreprise régénérative », trace Nicholas Vantreese.

Enjeux de moyen et long termes

Si le recul, au niveau européen, des conditions d’application de la CSRD peut susciter des interrogations, cela ne signifie donc pas que la RSE doive être mise de côté. Au contraire, la dynamique progresse, elle tend à être de mieux en mieux comprise, et les initiatives s’accélèrent dans de nombreux secteurs. Il reste toutefois une réalité, que résume Laëtitia Guibert : « Lorsque l’économie se porte bien, la RSE progresse plus vite et plus facilement. En période de tension, elle a tendance à être reléguée au second plan, alors même qu’elle est un levier essentiel pour assurer la résilience et la pérennité des entreprises dans une perspective de long terme. » Un paradoxe, ou un challenge supplémentaire pour les dirigeants. 

R. Charbonnier

*Étude ayant recueilli 1 062 réponses d'entreprises issues de 26 pays européens, représentant divers secteurs, tailles et niveaux de maturité ESG, à partir d’un questionnaire administré entre le 31 mars et le 30 avril 2025.

 

L’inévitable transformation des banques

Dans son plan stratégique 2025-2027, la Banque Populaire Auvergne-Rhône-Alpes a inscrit la RSE au cœur de sa feuille de route, faisant de la notion d’impact la colonne vertébrale de l’ensemble de ses actions. « Dès 2024, nous avions déjà envoyé un signal fort. Avec ce nouveau plan, la dimension d’impact sera intégrée à chacun de nos métiers, avec des actions concrètes déployées par chaque direction et assorties d’objectifs précis à atteindre », souligne Nicholas Vantreese, directeur impact, climat et RSE de la Banque populaire AURA. Depuis trois ans, la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes est aussi engagée dans la Convention des entreprises pour le climat (CEC). Dans ce cadre, elle se fixe pour objectif de faire monter en compétences ses collaborateurs sur les enjeux ESG ; sur la façon de faire évoluer son business model ou encore en se fixant le cap de réduire son empreinte carbone. « Entre 2019 et 2024, nous l’avons déjà baissé de 24 % », note Sylvain Brissot, directeur de la coordination de la transition climatique. 

 

« Solutions CCI - La CCI accompagne la transition écologique » 

La Chambre de commerce et d’industrie de Grenoble propose, en partenariat avec l’Ademe, des diagnostics permettant d’améliorer la performance environnementale des entreprises : réduction de leurs consommations d’énergie (visite énergie), identification des leviers d’action pour un modèle d’économie circulaire (diagnostic Economie circulaire) ou encore pour démarrer une démarche d’éco-conception (Eval éco-conception). Des accompagnements ponctuels sont aussi proposés pour aider les entreprises à monter leurs dossiers d’aide financière notamment auprès de l’Ademe.

Contact : p.gontier@grenoble.cci.fr

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