Experts — Le 13 novembre 2025

L’Ukraine et l’avenir de la sécurité européenne : Quelles recompositions géopolitiques ?

#europe

C’est l’affirmation choc de la conférence-débat du 30 novembre : « La guerre déclenchée par la Russie en Ukraine en 2022 a profondément bouleversé les équilibres géopolitiques en Europe. Elle a mis fin à l’illusion d’un continent définitivement pacifié, ravivé les logiques de blocs et provoqué un réarmement accéléré des États européens. L’Otan a retrouvé une centralité stratégique inattendue, tandis que l’Union européenne tente de redéfinir son rôle en matière de sécurité et de défense. Comment la guerre en Ukraine reconfigure-t-elle durablement l’architecture de sécurité européenne ? ». Laurent Griot, enseignant-chercheur en gestion des risques géopolitiques à GEM et intervenant de cette conférence-débat, dévoile en avant-première quelques éléments des discussions à venir.

Pourquoi ce thème s’est-il, parmi bien d’autres sujets possibles, immédiatement imposé ?

Laurent Griot : En tant qu’organisateurs de cette première édition, nous avons fait le choix, tant à l’IRIS que chez GEM, d’éviter des thèmes qui n’intéresseraient que des spécialistes, en donnant avant tout des clés de compréhension au grand public. Nous aurions pu choisir de nous focaliser surtout sur l’Europe. Traiter de l’actualité des États-Unis, dès le premier jour des Géopolitiques de Grenoble, est aussi une façon de revenir aux grands enjeux européens. Car les deux mandats du président Donald Trump signent un revirement géopolitique majeur dont l’ampleur a surpris, et même saisi l’Europe ! Et nous voyons bien, dans notre conférence-débat du 29 novembre consacrée au conflit ukrainien et à ses impacts en Europe, à quel point les doutes sur le désengagement politique américain continuent d’exercer des effets déterminants sur notre continent. Le nouveau rôle assigné à l’Otan contraint par exemple l’ensemble des pays européens à revoir fondamentalement leur stratégie de défense. Et même à se réarmer, ce qui constitue une inflexion fondamentale dans l’histoire récente de l’Union européenne et la construction de l’idéal européen.

Laurent Griot enseignant-chercheur en gestion des risques géopolitiques © GEM

En quoi l’entreprise est-elle directement concernée par cette conférence-débat ?

LG : Parce que l’impact de ces enjeux géopolitiques est décisif sur la vie des entreprises ! Celles qui travaillaient directement avec l’Ukraine ont dû bien évidemment s’adapter dès le début du conflit, certaines de celles qui avaient des intérêts ou des implantations en Russie ont été contraintes, suite aux politiques de sanctions, dont la liste n’a cessé de s’allonger, à abandonner leurs intérêts et à quitter parfois précipitamment le pays. L’impossibilité d’importer des ressources énergétiques ou certaines matières premières, a eu aussi des répercussions majeures sur la réorganisation des flux, sur la révision des supply chain, qui ont généré des pénuries et de l’inflation… À terme, ce conflit peut avoir des répercussions immenses sur le commerce international : qui sait, lorsque la crise sera un peu retombée, si les questions de souveraineté l’emporteront sur le phénomène de mondialisation, ou si, aux chaînes d’approvisionnement toujours plus étendues, se substitueront les volontés de repli sur des partenaires proches et plus fiables… Encore une autre transformation majeure : nous voyons réapparaître des budgets significatifs affectés en Europe aux forces de défense, qui ont des conséquences pour les grandes entreprises du secteur, mais aussi pour des milliers de sociétés sous-traitantes sur le territoire français. L’entreprise est donc étroitement liée aux crises géopolitiques de ces dernières années.

Finalement, ce conflit n’a-t-il pas signé la résurgence d’un primat du politique et de la géopolitique sur les questions économiques ? Des paramètres que l’Europe avait eu tendance à négliger pendant une longue période de paix…

LG : L’incertitude des acteurs économiques, et plus largement des sociétés, est en effet majeure. En France, l’instabilité politique et les difficultés parlementaires à adopter un budget, a tendance à occuper tout l’espace médiatique. C’est méconnaître que ce climat d’incertitude traverse tous les pays de l’Union européenne. Les mêmes dilemmes autour des choix budgétaires se posent aussi en Allemagne, en Italie, dans les Pays scandinaves, où il est parfois question de renoncer à certains avantages de l’État Providence, pour financer l’effort de Défense. Ces débats créent des tensions internes dans toutes les sociétés, car les mouvements d’opinion chez les populations ne changent pas à la vitesse des décisions prises aux États-Unis ! Ils provoquent aussi de nouvelles dissensions, voire des fractures, au sein même de l’ensemble européen. Un pays comme la Pologne, ou la Finlande qui partage plus de 1 000 km de frontières communes avec la Russie, ne partage ni les mêmes inquiétudes, ni les mêmes vues stratégiques, que l’Espagne ou le Portugal. Deux pays européens, la Finlande et la Suède, ont d’ailleurs décidé de rejoindre l’Otan. Ce qui permet d’affirmer, finalement, que la Baltique redevient une mer européenne. Mais la question posée par les soubresauts de la politique américaine, traitée en ouverture des Géopolitiques de Grenoble, est bien celle de l’adaptabilité, de la capacité d’influence et de la résilience, de nos sociétés européennes.