Gouvernance du climat, des ressources et de l’espace : Le retour du rapport de force ?
À l’heure de la COP 30, qui se déroule du 6 au 21 novembre au Brésil, l’esprit est-il toujours au consensus qui avait prévalu lors de la signature de l’Accord de Paris en 2015 ? La protection de l’environnement et l’usage durable des ressources communes (matières premières, océans, espace…) semblent plutôt être l’objet d’instrumentalisation politique et d’une fracturation du paysage mondial. Le recours au rapport de force et à l’appropriation représente-t-il un pivot stratégique définitif ? Quels sont les impacts sur les cadres de gouvernance existants ? Carine Sebi, professeure associée de GEM, coordinatrice de la Chaire « Energy for Society », enseignante en économie, présente les enjeux de cette conférence, dont elle sera la modératrice.
Pourquoi cette conférence traite-t-elle simultanément des sujets du climat, des ressources premières, de l’espace et des océans ?
Carine Sebi : Parce que derrière tous ces thèmes, la question première est celle de la gouvernance des communs. Et très vite, apparaît ce que l’on nomme « la tragédie des communs », théorisée notamment par Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009. Selon cette approche, l’action individuelle, du fait de systèmes d’incitation pervers, d’une absence de réglementation ou de politique partagée, conduit à la surexploitation et à la dégradation des ressources, parfois de manière irréversible. Ces logiques sont à l’œuvre dans la pêche, dans les océans par exemple, mais aussi dans l’exploitation des gisements de minerais ou de métaux, qui peut aboutir à leur tarissement. Pour le climat, c’est l’absence de consensus et de coordination internationale qui fait que nos émissions ont un impact global. De même, l’espace illustre cette « tragédie des communs », puisque, en l’absence d’une règlementation à portée universelle, prévaut la loi du « premier arrivé, premier servi ». Ces domaines sont aujourd’hui révélateurs de tensions croissantes entre coopération et compétition, et illustrent à quel point la gouvernance mondiale des biens communs reste fragile.
Quelle est l’actualité particulière du sujet ?
CS : Lorsque l’on regarde dans le rétroviseur, la signature de l’Accord de Paris sur le climat, en 2015, avait suscité l’espoir d’un consensus international et d’initiatives collectives possibles. Cet accord envoyait le signal d’une gouvernance de biens communs susceptible d’être étendue à d’autres domaines. Or, dix ans plus tard, les négociations climatiques révèlent une fragmentation accrue et des rapports de force assumés, notamment entre grandes puissances. Les enjeux énergétiques et environnementaux sont redevenus des instruments de pouvoir et de compétition, et les biens communs font désormais l’objet de rapports de force, notamment entre les États-Unis et la Chine, chacun cherchant à faire prévaloir ses propres intérêts. Nos intervenants mettront en lumière cette actualité : Étienne Espagne reviendra sur la dimension géopolitique des négociations climatiques à la COP 30, Emmanuel Hache analysera la rivalité autour des chaînes de valeur et des minerais stratégiques, Philippe Steininger abordera « l’arsenalisation » de l’espace, et Julia Tasse éclairera les enjeux de gouvernance des océans et des données maritimes. Ensemble ils questionneront la présence - ou l’absence ! - de l’Europe dans cette recomposition mondiale.
Précisément, ne peut-on être saisi par une vague de pessimisme ou d’impuissance, face à des tendances qui peuvent être perçues comme des reculs par rapport au début des années 2000 ?
CS : D’abord, cette conférence promet d’être inédite, car la question des biens communs y est abordée de façon globale et transversale, nourrie par l’éclairage d’experts de chaque domaine. Notre objectif est de dépasser les débats classiques pour revenir aux enseignements géopolitiques et aux leviers d’action concrets. Oui, le monde est devenu disruptif par rapport à ce que nous avons connu. L’ère de la « mondialisation joyeuse » qui avait façonnée l’idéal européen appartient désormais au passé, tout comme l’illusion de pouvoir fonder notre puissance et notre développement économique sur des ressources dont nous ne disposons pas. La pandémie, en soulignant la fragilité des chaînes de valeur des pays occidentaux, a joué un rôle de révélateur et signé la fin d’une certaine naïveté. Mais des signaux positifs existent : la publication du rapport Draghi en 2024, la ratification du Traité sur la haute mer, le 23 septembre dernier, ou encore des initiatives européennes de coordination énergétique, témoignent d’une volonté de réaffirmer une capacité d’action collective. À GEM, nous co-portons avec Enerdata, l’IRIS/IFPEN, Futuribles et d’autres partenaires à venir, la création de GEO (Geopolitics of Energy Observer), un observatoire destiné à éclairer la souveraineté énergétique et industrielle de l’Europe et à anticiper les impacts géopolitiques des transitions en cours.
E. Ballery
Conférence débat :
Gouvernance du climat, des ressources et de l'espace : une géopolitique fragmentée pour des défis globaux ?
Participants
Étienne Espagne
Économiste senior à l’Agence française de développement (AFD), chercheur associé au Centre d’études et de recherches en développement international (CERDI)
Philippe Steininger
Chercheur associé à l’IRIS
Emmanuel Hache
Directeur de recherche à l’IRIS
Julia Tasse
Directrice de recherche à l’IRIS, responsable du programme Océan
Modération
Carine Sebi
Professeure associée, titulaire de la Chaire « Energy for Society », Grenoble École de Management (GEM)
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