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Présences Grenoble
Experts — Le 28 mai 2025

Valérie Denu, Tribunal de Commerce : « La situation des entreprises est préoccupante »

Ancienne dirigeante d’une société de distribution de matériel de sport outdoor, Valérie Denu s’est engagée depuis 2015 comme juge auprès du tribunal de commerce de Grenoble. Elle en est devenue présidente en 2021 et a annoncé lors de l’audience solennelle de janvier qu’elle mettrait fin à ses fonctions le 25 juin. À l’heure du bilan, Valérie Denu revient sur l’activité du tribunal et l’évolution rencontrée ces derniers mois.

Valérie Denu, présidente du Tribunal de commerce de Grenoble
Valérie Denu, présidente du Tribunal de commerce de Grenoble © F. Ardito

Selon Altarès, l’évolution du nombre de défaillances en France est au plus haut depuis 25 ans. Qu’en est-il à Grenoble ?

Valérie Denu : La situation apparaît meilleure qu’au niveau national. En 2024, 742 procédures collectives ont été traitées, soit +5 % par rapport à 2023, et +23 % par rapport à 2019. En France, ces deux ratios évoluent respectivement à +15 % et +28 %. Cela est dû à la solidité du tissu économique local. Mais les signes que nous observons sont préoccupants. En 2023 et 2024, nous avons assisté à une explosion des procédures amiables, passées de 9 en 2019, à 96 en 2024, et 54 sur les trois premiers mois de l’année 2025. Or elles concernent des entreprises de grande, voire de très grande taille, qui ont davantage d’impact sur l’emploi, et dont les difficultés s’accroissent. 

Quelle analyse portez-vous sur ce phénomène ? 

 Il traduit clairement une dégradation de la situation économique. Depuis le Covid, nous assistions à un effet rattrapage – les défaillances avaient baissé de 55 % en 2020 et 2021 – dû à la reprise des assignations Urssaf en 2023, au remboursement des PGE et des prêts de trésorerie. La hausse des coûts de l’énergie et l’inflation sont ensuite venues fragiliser l’exploitation. Mais surtout, une croissance faible, et même une récession en Allemagne en 2024, une montée des incertitudes politiques depuis la dissolution au niveau national, et à présent les menaces sur le commerce international, réduisent les marges de manœuvre des entreprises. Et nous peinons à identifier des signes de reprise… 

Quels sont les secteurs les plus touchés ? 

 De façon contre-intuitive, la situation se stabilise pour le commerce et la construction : nous traitons un nombre de dossiers quasi identique entre 2019 et 2025. Mais leur part dans le total des procédures se réduit, ce qui signifie que tous les autres secteurs progressent fortement. C’est le cas de l’hébergement restauration, mais aussi d’activités industrielles et de services, ou même de start-up, qui peinent à identifier des repreneurs et donc à préserver leurs technologies ou savoir-faire… 

Des dossiers à enjeux traités par les tribunaux comme Vencorex, Casino… sont toujours très suivis. Comment les appréhendez-vous ?

Tout dossier nécessite de revenir au droit, sans céder aux sentiments ou à l’émotion. Il est examiné par trois juges avertis, issus du monde de l’entreprise, qui rendent une décision collégiale au regard de trois critères : la préservation de l’emploi, le dédommagement des créanciers, et le sérieux de l’offre présentée, qui doit être susceptible de redresser l’activité en reprenant le passif. Dans le cas de Vencorex, il faut prendre la peine de consulter le jugement du tribunal de Lyon. Tout est expliqué et motivé. Bien sûr, les juges des tribunaux souhaiteraient contribuer à relancer une activité de façon viable et à pérenniser l’emploi. À Grenoble, cela a été le cas par exemple pour Go Sport. De tels dossiers restent toutefois l’exception : plus de 80 % de nos jugements concernent des entreprises sans salariés. 

Être juge, c’est une vocation ?

C’est en tout cas comme cela que j’ai pu exprimer ma passion pour l’entreprise et me rendre utile à la société. Tout juge qui démarre est surpris par la force des valeurs que nous partageons au service de la justice, de l’économie, de l’entreprise et de l’emploi, en dépit de notre charge de travail. Et j’insiste : pouvoir traiter au plus tôt les difficultés, en toute confidentialité et lors de procédures amiables, est toujours préférable aux solutions d’attente. Nous pouvons encore aider à résoudre des problèmes ponctuels à cette étape, mais pas guérir des cancers généralisés.

E. Ballery

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