Jérôme Lopez, président de la CPME Isère « Nous sommes prêts à toute discussion pour rechercher l’équité, à condition que les entreprises ne soient pas les seules à porter l'effort »

Quel est l’état d’esprit des dirigeants de PME et TPE, en ces moments de trouble politique et de débats ?
Jérôme Lopez : Dès le début de l’été, au moment où se préparait le projet de loi de finances et où étaient relayées les préoccupations autour du déficit public, notre inquiétude montait. Car dans les entreprises, nous savons bien qu’un déficit résulte d’une différence entre l’argent collecté et l’argent dépensé. Pour le réduire, deux leviers peuvent être activés : dépenser moins, ou générer davantage de recettes. Or trop de mesures étaient orientées vers la deuxième solution, et pas assez vers la première. La gravité de la situation aurait pourtant nécessité des réflexions de fond sur la nature de la dépense publique et la façon d’équilibrer les comptes, par exemple sur l’assurance maladie. En juillet, nous étions donc déjà dans l’inquiétude de connaître à quelle hauteur les entreprises allaient devoir contribuer. Au plus fort de l’été, j’ai observé que nos adhérents, cette année, ont pris moins de vacances que d’habitude. C’est le reflet de l’accélération que nous vivons, mais aussi le signe d’une surcharge de travail, notamment administrative. Car tous nos dirigeants doivent faire plus avec moins ! Les patrons de PME et TPE gèrent l’urgence avec des effets immédiats sur leur qualité de vie, et parfois leur santé. Et quand au 8 septembre l’Assemblée a fait tomber le gouvernement, il était clair que pour nous, s’annonçait une nouvelle période d’incertitude, paralysante pour nos entreprises.
Comment se traduit-elle ?
Quand une crise comme le Covid survient, il n’existe aucun retour d’expérience, et donc tout se gère au jour le jour, dans l’improvisation du moment. Mais le climat d’incertitude ouvert par la succession de crises politiques depuis la dissolution de juin 2024 est beaucoup plus insidieux. Personne ne sait combien de temps il va durer. Dans le monde industriel, chacun se met alors en position d’attente sur les nouveaux projets, sur les investissements, les recrutements... Les premiers à pâtir de cette situation sont les alternants. Comment s’engager dans la durée ? Les entreprises qui ont eu de la peine à recruter sur les métiers en tension essaient de conserver leurs effectifs, mais elles puisent dans leurs réserves dans l’attente d’un redémarrage, ce qui dégrade les trésoreries. Et les politiques ont du mal à intégrer que ce n’est pas en appuyant sur un bouton que la machine de l’économie réelle redémarre. L’inertie à l’arrêt est importante. Après une baisse d’activité, il faut le temps de relancer les projets et les consultations du côté des donneurs d’ordre, avant qu’ils ne se traduisent en commandes fermes chez les PME et TPE, puis en travail dans les ateliers. Pendant ce temps, les voyants restent à l’orange ou au rouge, et des entreprises ferment.
Avec des résultats mesurés ?
Oui. L’année 2024 a été marquée par un record de défaillances d’entreprises, et l’évolution est tout aussi négative en 2025. Les commissaires aux comptes et experts-comptables me font remonter des observations identiques : ce ne sont plus seulement les petits commerces, ou des sociétés de service gérées par des indépendants, qui passent directement en liquidation. Ce sont à présent de belles entreprises de 30, 40 ou 50 salariés, dans des secteurs qui habituellement connaissaient plus d’inertie, comme l’industrie. Le transport et la logistique, la distribution, le commerce, sont touchés, comme le bâtiment, mais tous les domaines de l’économie le sont à vrai dire. Des entreprises tirent encore leur épingle du jeu, en s’orientant vers des marchés de niche, en se réinventant, en restant agiles. Dans l’industrie, celles qui ont su évoluer vers les hauts niveaux d’exigence de la Défense, ou bien s’inscrire dans le plan de rénovation des centrales nucléaires, ou encore les projets d’innovation de France 2030, s’en sortent mieux. Mais aucune généralité ne peut être établie.
Un Premier ministre a été nommé. De quoi calmer les esprits ?
Nos inquiétudes demeurent : quel sera le projet de loi de finances, et la quote-part des entreprises affectée à la réduction des déficits ? Au-delà de cette conjoncture, le climat nous préoccupe : les moyens consacrés de façon récurrente à maintenir l’ordre et réparer les dégradations commises freinent l’économie, mobilisent les budgets de l’État, sans compter le nombre de journées de travail perdues, les déplacements annulés lors des journées de grève, ou la violence exercée sur le mobilier urbain, sur des commerces qui n’y sont pour rien. Tout cela vient encore impacter les équilibres fragiles de rentabilité. Et pendant ce temps, les projets ne redémarrent pas, ce qui provoque des réactions en chaîne sur la santé des entreprises, les salaires, l’emploi… et les comptes publics !
Dans ce contexte, quelles propositions la CPME pousse-t-elle ? Quelles sont vos lignes rouges, et vos pistes pour l’avenir ?
La CPME a toujours dit qu’elle ne mettait pas de ligne rouge, un vocabulaire trop souvent utilisé par des partis politiques pour menacer de sanctionner ou de faire sauter le gouvernement. Or nous voulons nous placer dans le dialogue et la pédagogie. Les politiques méconnaissent les rouages réels de l'économie. Nous sommes prêts à toute discussion pour rechercher l’équité, à condition que les entreprises ne soient pas les seules à porter l'effort national. Nous rappelons notamment qu’en 2025, l'inflation des salaires a été supérieure à la progression de la consommation. Bien entendu, la CPME est consciente des difficultés de pouvoir d'achat des salariés et de toute la population. Néanmoins, la hausse moyenne de collecte de l'Urssaf est supérieure à 2,8% en 2025, quand l’évolution des indices de consommation est comprise entre 1 et 1,5%. Donc le partage de la valeur s’est révélé plutôt favorable aux salaires. Et la CPME ne souhaite pas non plus voir de nouvelles usines à gaz apparaître, avec de nouveaux prélèvements compensés par des contreparties ou des aides. Nous entendons de nombreux observateurs dénoncer le montant des aides aux entreprises. Mais si les impôts et taxes qui pèsent sur les entreprises n’étaient pas aussi élevés, ce système de compensation n’existerait pas. Nous appelons bien à un effort partagé, et au bon sens qui consiste, dans une entreprise, quand on n’arrive plus à équilibrer un budget, à réfléchir à toutes les pistes de réduction de la dépense. Et notamment à s’organiser autrement, pour améliorer l’efficacité et la productivité des recettes, et à mettre en place des indicateurs d’évaluation.
La question des aides aux entreprises est aussi au centre des débats…
Oui, mais sur les plus de 200 Md€ d’aides évoquées, il faut examiner précisément les répartitions. J’observe que plus de 60 Md€ concernent les allègements de cotisations sur les bas salaires, dans un pays où elles étaient parmi les plus élevées au monde. Quand on connaît des prélèvements records, il est pernicieux de chiffrer les allègements comme des aides. S’ils n’étaient pas aussi élevés, cela bénéficierait à la fois aux salariés, à leur pouvoir d’achat, à la consommation et donc à l’économie. Et pour le reste de ces soi-disant aides, je constate que les PME et TPE en ont été très peu bénéficiaires. En revanche, elles sont les premières victimes de retards de paiement, infligés à la fois par les administrations et de grandes entreprises. Et à ce titre, j’ai un autre chiffre pour 2025, celui de 40 Md€ de contributions réalisées par nos entreprises, au titre des échéances non réglées. De fait, nous sommes les banquiers prêteurs, à hauteur de 40 Md€, de grands groupes et de l’État… Quant au choc de simplification et d’efficacité promis par les pouvoirs publics, il n’a jamais eu lieu.
Quelles propositions porte actuellement la CPME ?
Nous avons depuis déjà le gouvernement de Mme Borne soumis que toute mesure, avant d’être définitivement adoptée et systématisée, soit soumise à un « test PME ». Est-elle suffisamment pragmatique, efficace, ne crée-t-elle pas des lourdeurs, des coûts cachés supplémentaires pour la société ? Nous restons donc force de proposition pour aider à bâtir le fonctionnement de l’État de demain. Encore un exemple à citer, passé inaperçu : la refonte du calcul des avantages en nature pour un salarié qui disposerait d’un véhicule de société, lui fait perdre en moyenne près de 130 euros par mois, directement imputé sur son revenu imposable. Comme les PME n’ont pas les moyens de compenser, chacun renonce à ce système, qui provoque à son tour une baisse du parc automobile et des commandes pour les constructeurs français, qui à leur tour, vont mal. En contrepartie, cette mesure allonge la durée de vie des véhicules et engorge les garages, puisqu’elles n’ont pas les ressources humaines pour les maintenir… Les effets en cascade d’une mesure contre-productive sont pourtant bien prévisibles…
Au niveau de tous les départements, la CPME met aussi en place des dispositifs de prévention à destination de nos pairs, pour qu’ils viennent s’exprimer sur leurs expériences, leurs difficultés, avec y compris une aide à la personne physique ou un soutien d’ordre psychologique, bien en amont d’une procédure auprès du tribunal de commerce. Des accords avec des professionnels libéraux sur les territoires nous permettent de pouvoir entourer les dirigeants. Car on ne peut avoir des entreprises en bonne santé avec des dirigeants fragilisés. Tous les travaux de l’enseignant chercheur Olivier Torres et de la chaire « Santé des entrepreneurs » montrent à quel point ces deux facteurs sont inter-reliés ! Pour autant, nous restons combattants, et voulons participer à construire l’économie de demain !
E. Ballery
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